samedi 6 octobre 2007

Lettre à Madame Muriel Mayette...


Lettre de Bruno Boëglin à Muriel Mayette.
Administratrice Générale de La Comédie-Française

UNE ERREUR DE JEUNESSE

C'est la fin des années soixante-dix, à Lyon. Au théâtre de l'Eldorado que je dirige, le Novothéâtre passe une commande à l’écrivain Bernard-Marie Koltès.
Il s'agit pour lui d'écrire une pièce- SALLINGER- d'après des séries d'improvisations réalisées par des amis communs et extraites de l’œuvre de l'écrivain américain Jérôme-David Salinger.
Bernard Koltès accepte avec plaisir, assiste au travail d'improvisations et se retire à Paris pour écrire.
Quelques mois plus tard la pièce est écrite et mise en répétition.
Bernard ne vient voir que la répétition générale et me convoque immédiatement après dans un bar près du théâtre.
--"Bruno, je t'autorise à faire des coupes dans le texte (j'en avais faites plusieurs dans les monologues), de bouleverser l'ordre des scènes (je ne l'avais pas fait), de changer le lieu des actions (je ne l'avais pas fait), mais je t'interdis d'ajouter un personnage à ma pièce (je l'avais fait), à faire jouer le rôle du Rouquin par une femme (je l'avais fait ) et surtout à ajouter du texte que je n'ai pas écrit (je l'avais fait). Si tu passes outre, j'interdis les représentations et je fais intervenir la police. C'est tout ce que j'ai à te dire. A demain soir".
Le lendemain, la Première avait lieu sans que les interdictions de Bernard soient respectées. Elles ne le furent pas plus pour les représentations qui suivirent. Nous nous sommes réconciliés très vite.
Mais c’était l’époque des colères, des bagarres et de l’amitié.
Enfin, tout rentra dans l'ordre quelques représentations plus tard quand le public et la presse jugèrent le spectacle bon et découvrirent surtout qu'un nouvel auteur de théâtre
d'importance était né.
La suite tout le monde ou presque la connaît. Des chefs-d’œuvre d’écriture et de mises en scène partout dans le monde. La gloire, quoi!
Et puis la disparition soudaine de Bernard en 1989 et la désignation de son frère François comme ayant droit.
Un lourd et splendide héritage à gérer et à faire respecter.
Si je devais aujourd'hui remettre en scène SALLINGER, je m'appliquerais scrupuleusement àrespecter toutes les interdictions de Bernard. Pourquoi?
Pas par peur de François bien sûr mais parce qu'elles étaient merveilleusement justes et qu'elles le sont encore maintenant lorsqu'on lit consciencieusement le texte.
Mais malheureusement, aujourd'hui, on est loin des années cinquante, soixante et soixante-dix où ce genre de dispute se réglait à coup de paires de gifles, de chahuts dans les salles et n'encombrait pas les tribunaux!
Parce que ce qui se passe là, entre François et toi, semble bien tirer le théâtre du coté de l'art marchand et de l'amour idiot des Américains à régler leurs litiges devant la justice.
Et en France, c'est la tout à fait respectable Comédie-Française qui, dix ans plus tard comme toujours, prend exemple sur les Etats-Unis d’Amérique.

Bruno Boëglin, metteur en scène.

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