mercredi 3 octobre 2007

François Koltès désormais défendu par Maître Roland Rappaport...



Maître Roland Rappaport, plus en forme jamais, prend en main les destinées de « l’Affaire Koltès ». En quelques mots…
Maître Rappaport soutint la lutte des peuples pour leur liberté, contre la guerre d’Indochine, pour la paix et l’indépendance du Vietnam. Il combattit le colonialisme du temps de la guerre d’Algérie, toujours solidaire et « partie prenante de batailles pour le progrès social ». Il participe au Comité de Défense des Libertés autour d’Arthur London (auteur de l’Aveu). Il défend Mathieu Lindon et Paul Otchakovsky dans l’affaire dite « Le procès de Jean-Marie Le Pen », en 1999. Mais revenons au procès Koltès lui-même.
C’est l’auteur, au départ, à vrai dire, qui pâtit de « L’Affaire ». Actuellement, et très provisoirement, c’est Bernard-Marie Koltès qui, dans sa partie de bras de fer avec la Comédie-Française, se heurte à l’une de nos plus (trop) vieilles institutions culturelles. François Koltès, son ayant droit, en tant que personne, fait les frais de ce premier jugement. Et nul ne peut envier sa situation.
Tout est allé si vite, tellement vite, qu’on a oublié de signaler que Le retour au désert existe surtout à cause de cette guerre d’Algérie. La distribution n’a pas trouvé le courage indispensable de mettre en scène des Arabes. Contredisant ainsi la volonté manifeste de l’auteur, pour qui on ne joue pas plus une race qu’un sexe ! Mais il ne s’agit pas de racisme, il s’agit d’admettre l’autre avec sa différence. C’est donc tout le contraire. Et c’est sur cette culpabilité, sur cette absence que s’arc-boute l’accusation faite à l’ayant droit. Il s’agit de lui faire la place, de lui donner toute sa place de lui laisser la parole. Une fois. En quoi est-il différent ? Il parle autrement, il se tient autrement, un peu différemment veux-je dire, il apparaît, mais il parle vraiment arabe. Mon domestique est arabophone, Pourquoi ? Parce que dans la maison Serpenoise des années soixante il y a un interdit qui pèse sur la langue de l’autre. Totalement oublié ça ! Il se distingue de moi ou moi parmi les autres, j’apparais encore autrement. Le théâtre de Koltès ne s’avance pas dans le travestissement. Il le dénonce. A telle enseigne…L’auteur écrit que le personnage s’appelle Aziz, parle arabe, serait musulman, qu’il est de culture méditerranéenne… premier gros et vrai problème posé à la Comédie-Française : il n’y a pas un seul comédien maghrébin dans la troupe. Que faire ? Pas un petit (ni même un grand d’ailleurs) à l’horizon ? ou si, parmi les techniciens, mais il ne jouera pas. Moralité : tant pis, il faut faire jouer ceux qui sont là. Trouver dans la troupe, parmi les comédiens à demeure, un Aziz, un Aziz et un Saïfi. Bilan : rien ne bouge, rien ne change. La chance, qui voulait que Le Retour au désert fut l’occasion d’engager un nouvel artiste, un comédien issu de l’immigration, par exemple, tombe à l’eau. La vieille maison sombre dans l’archaïsme. Elle ne réussit pas à se mettre au goût du jour. Elle campe sur ses vieilles lunes.
Mais il y a plus grave, inévitablement, et qui touche le droit moral de l’auteur, c’est la mise en scène, qui donne le texte du retour au désert, vide de l’interprétation de sa substance. La métaphysique koltésienne, se trouve castrée d’emblée. Coincée dans un dilemme, qui pour être intéressant, n’en est pas moins hors-sujet. La distribution déplace la problématique de la pièce en faisant jouer un sociétaire. Plus grand est l’artiste, plus sincère est son jeu, plus l’interprétation s’éloigne de la quête de l’auteur, Bernard-Marie Koltès, qui demande la confrontation des corps sur la scène. Songeons à ces « Molière ». Raisonnons un instant par l’absurde. Il manque un Molière : celui du comédien incompris. Oui, pourquoi Michel Favory n’a-t-il pas obtenu ce prix ? N’aurait-ce pas été entièrement mérité ? Non, mais ce n’était pas possible, et pour deux raisons : d’une part c’eût été une provocation bien trop lisible, d’autre part c’eût été, par voie de conséquence, l’aveu du propre échec de la mise en scène. Dès lors la poursuite se braque, le projecteur s’attache à deux actrices : Martine Chevallier et Catherine Hiégel. Que se passe-t-il ? On détourne l’auteur pour mieux assommer l’ayant droit ! Mais le théâtre de Koltès est ailleurs.
La quête de Bernard-Marie Koltès est tout intérieure. Elle part de l’extérieur, de l’étranger, alors que la dynamique mise en scène, et en place, par la Comédie-Française, suit le mouvement inverse. (Il eut fallu, avant de mettre en scène, refaire la visite de la mosquée de Pierre Loti). Alors, elle, la Comédie, elle déclare : « Voilà ! nos comédiens vont vous jouer Le retour au désert ». Oui, certes, ils jouent la pièce mot pour mot, mais en réalité, ils la déjouent, la dénouent, en en désamorçant les ressorts dramaturgiques qui eux portent sur la rencontre des corps et le travail des voix.
Toutes les attaques portées contre François Koltès, dès lors, ne visent qu’à tenter de valider ce renversement. J’y vois ainsi l’émergence des expressions « terrorisme à l’envers », « racisme à l’envers ». Comme autant, en fait, de retournements éhontés de la rhétorique koltésienne. Pour quel dessein ? discréditer la remise en cause même de la distribution du Retour au désert. Or, cette revendication, cette contestation de l’ayant droit, elle, n’est rien autre que légitime. Comment déjouer le « complot » ? Nier la validité du contrat, aller rechercher la lettre de 2006 et tenter de faire avaler ces deux couleuvres gluantes et frémissantes : l’une « nous on ne pouvait pas engager un Arabe pour jouer le rôle d’un Arabe. D’ailleurs, on n’en connaît pas ! » L’autre c’est : « charbonnier est maître chez soi ! » Et Bernard-Marie Koltès dans tout ça ? Eh bien, il ne s’y retrouve pas !
Le théâtre de Koltès, les dizaines, les centaines de milliers de lycéens et d’universitaires qui, non seulement en France, mais dans le monde, étudient l’œuvre, savent bien comment et combien la figure de l’étranger, de l’autre, du Noir, du différent, y est déployée, magnifiée. Faudrait-il alors être grand clerc pour savoir lire dans l’œuvre la révolte de Bernard-Marie Koltès ? Elle s’exerce contres les fascistes, contre l’OAS. Il s’agit d’une colère. Elle alimente l’antique tragédie. Elle prend sa légitime vibration dans le corps des êtres qui, pour ce galop d’essai à la Comédie-Française, furent désespérément absents.

(Merci d’adresser vos commentaires aussi nombreux que possibles…)

prochain article, les metteurs en scène de Koltès : Arthur Nauzyciel, Jean-Christophe Saïs…

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