mercredi 17 octobre 2007

Bernard-Marie Koltès et ...Philip Boulay



Toujours actif Philip Boulay ! Dès les années quatre-vingt-dix, sa première pièce mise en scène fut Dans la solitude des champs de coton au Conservatoire National d’Art Dramatique de Paris. Après avoir fréquenté de nombreux auteurs dont : Tabucchi, Molière, Elsa Solal, Ramon Griffero, Mishima, Musset, Marivaux… Il met en scène Tabataba en 2003. En 2004, il reprend Dans la solitude… au Forum de Blanc Mesnil ainsi qu’à Istanbul ! En 2004 encore, il monte un surprenant Roberto Zucco entièrement joué par une équipe artistique de comédiennes et comédiens congolais.
Dire que Koltès s’intéressait à l’autre, est un lieu commun, puisque son théâtre est Le Théâtre de L’Altérité. Comment, dans ces conditions, le théâtre de Koltès n’aurait-il pas intéressé des Africains ? C’est ce qui se passa, à Kinshasa, entre Congolaise, Congolais, et Français, avec la pièce Roberto Zucco et, comme dans cette ultime pièce, l’auteur, n’avait traité que de l’autre de nous-mêmes, Philip Boulay choisit de dévoiler L’Autre à nous-mêmes. Belle leçon que le public, dans la fascination de cette négritude révélée, aperçut dans un second temps.
Professeur associé à l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique d’Helsinki jusqu’en 2006, il met actuellement en scène à l’Athénée ainsi qu’au Forum de Blanc Mesnil Topdog/Underdog de Suzan-Lori Parks. Ce spectacle devrait visiter la Réunion et les Antilles, car c’est un bien beau projet !



Trouvez des informations concernant son dernier spectacle Topdog/Underdog sur :

http://www.athenee-theatre.com

http://www.theatreonline.com/guide/detail_piece.asp?i_Region=&i_Programmation=18561&i_Genre=&i_Origine=&i_Type=

Retrouvez toutes les pièces de Bernard-Marie Koltès sur théâtre-contemporain.net :

http://www.theatre-contemporain.net/biographies/Bernard-Marie-Koltes/

Et surtout, (last but not least), le point de vue du scénographe, Jean-Christophe Lanquetin, ainsi que les photos du Roberto Zucco mis en scène par Philip Boulay :

http://www.eternalnetwork.org/jcl/index.php?cat=zucco

mardi 9 octobre 2007

Bernard-Marie Koltès et…Frank Hoffmann




Actuellement, directeur du célèbre Théâtre National du Luxembourg, de Frank Hoffmann nous pourrions dire : théâtre, philosophie, Foucault, Genet, Sartre, Shakespeare, Goethe… mais tout cela semble bien restrictif, tant le parcours du metteur en scène est riche ; nous dirons éclectique. Avec un goût prononcé pour les grands auteurs (Goethe, Shakespeare, Orvath, Bernhard…) et les auteurs français en particuliers (Genet, Sartre, Camus, Koltès…)
Après avoir mis en scène Les bonnes en 1978, Frank Hoffmann obtient un doctorat en philosophie à l’Université de Heidelberg, avec la mention « summa cum laude » que nous traduirons ici par « avec les félicitations du jury » ! D’autant que la thèse se base sur la philosophie de Michel Foucault et se réfère aux œuvres du dramaturge Jean Genet. Puis, il met en scène d’autres auteurs, comme Heiner Müller, Brecht dont il monte Tambours dans la nuit (Trommeln in der Nacht) en 1982, puis Sainte-Jeanne des Abattoirs, en 2001. Il met en scène La cruche cassée de Heinrich von Kleist (mais où ai-je donc fourré mon volume des œuvres complètes de Kleist ?)
En 2002-2003 il met en scène Dans la solitude des champs de coton avec Denis Lavant dans le rôle du Client (le Dealer sera joué par Bernard Ballet).
En 2006-2007 il met en scène Procès Ivre de Bernard Marie-Koltès, un texte écrit en 1971, resté inédit jusqu’en 2001, date de sa parution aux éditions de Minuit). C’est en temps-là, en programmant également Torquato Tasso, de Goethe, qu’il bat ses records d’affluence avec soixante quinze mille entrées !

Consultez la programmation du Théatre National du Luxembourg sur :

http://www.tnl.lu

lundi 8 octobre 2007

Bernard-Marie Koltès et...Jean-Christophe Saïs



Jean-Christophe Saïs, à l’occasion d’un entretien (réalisé le 27 janvier 2006), nous disait son attachement à l’auteur Bernard-Marie Koltès en ces termes : « C’est un grand, un très grand poète. » Il resituait également son propre travail de metteur en scène avec celui de S. Nordey, H. Colas, ou S. Braunschweig, comme appartenant à un groupe d’artistes attachés à la langue des auteurs.
De l’auteur du retour au désert, Jean-Christophe Saïs disait précisément ceci : « Sa grammaire. On travaille vraiment la langue, enfin moi, comme une langue étrangère, sa sonorité, sa grammaire, son rythme…c’est déstructurer le texte de cette manière-là et ensuite la vie entre. »
Au sujet de sa mise en scène de Dans la solitude des champs de coton, plusieurs choses sont intéressantes à rappeler. Initialement, le jeune comédien Mathieu Genet devait interpréter le rôle du Dealer. Mais, engagé à la dernière minute à la Comédie-Française, justement, il dut laisser le rôle. Natalie Royer, qui venait de jouer le rôle du Rouquin dans Sallinger (*) fut invitée à reprendre la rôle. Dans un premier temps, François Koltès s’y opposa mais, finalement, Jean-Christophe obtint les droits ou l’ayant droit ne les lui retira pas, malgré le fait que l’auteur ait clairement indiqué qu’il préférait que ce rôle soit interprété comme il avait été écrit, c’est-à-dire par un homme et par homme Noir. Rappelons ici, pour ceux qui ne s’en souviendraient plus, que le rôle fut pensé et écrit pour Isaach de Bankolé.
Tout récemment, Jean-Christophe Saïs nous informait qu’il allait reprendre Les Troyennes d’Euripide, en arabe, au Liban et, nous l’espérons pour nous, ailleurs dans le monde, en France par exemple ou du moins en Europe.

*les pièces de l’œuvre de Koltès mises en scène par Jean-Christophe Saïs
-Sallinger (1999)
-Quai ouest (2001-2002)
-Dans la solitude des champs de coton (2004)
-Roberto Zucco (ateliers)

Retrouvez les photos du spectacle Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès mis en scène par Jean-Christophe Saïs sur :
http://photosdespectacles.free.fr/sujets/solitude/index.htm


également une liste non-exhaustive de mises en scène de l’auteur sur :
http://www.bellone.be/database/plusauteur.asp?IDfichier=1679758

samedi 6 octobre 2007

Lettre à Madame Muriel Mayette...


Lettre de Bruno Boëglin à Muriel Mayette.
Administratrice Générale de La Comédie-Française

UNE ERREUR DE JEUNESSE

C'est la fin des années soixante-dix, à Lyon. Au théâtre de l'Eldorado que je dirige, le Novothéâtre passe une commande à l’écrivain Bernard-Marie Koltès.
Il s'agit pour lui d'écrire une pièce- SALLINGER- d'après des séries d'improvisations réalisées par des amis communs et extraites de l’œuvre de l'écrivain américain Jérôme-David Salinger.
Bernard Koltès accepte avec plaisir, assiste au travail d'improvisations et se retire à Paris pour écrire.
Quelques mois plus tard la pièce est écrite et mise en répétition.
Bernard ne vient voir que la répétition générale et me convoque immédiatement après dans un bar près du théâtre.
--"Bruno, je t'autorise à faire des coupes dans le texte (j'en avais faites plusieurs dans les monologues), de bouleverser l'ordre des scènes (je ne l'avais pas fait), de changer le lieu des actions (je ne l'avais pas fait), mais je t'interdis d'ajouter un personnage à ma pièce (je l'avais fait), à faire jouer le rôle du Rouquin par une femme (je l'avais fait ) et surtout à ajouter du texte que je n'ai pas écrit (je l'avais fait). Si tu passes outre, j'interdis les représentations et je fais intervenir la police. C'est tout ce que j'ai à te dire. A demain soir".
Le lendemain, la Première avait lieu sans que les interdictions de Bernard soient respectées. Elles ne le furent pas plus pour les représentations qui suivirent. Nous nous sommes réconciliés très vite.
Mais c’était l’époque des colères, des bagarres et de l’amitié.
Enfin, tout rentra dans l'ordre quelques représentations plus tard quand le public et la presse jugèrent le spectacle bon et découvrirent surtout qu'un nouvel auteur de théâtre
d'importance était né.
La suite tout le monde ou presque la connaît. Des chefs-d’œuvre d’écriture et de mises en scène partout dans le monde. La gloire, quoi!
Et puis la disparition soudaine de Bernard en 1989 et la désignation de son frère François comme ayant droit.
Un lourd et splendide héritage à gérer et à faire respecter.
Si je devais aujourd'hui remettre en scène SALLINGER, je m'appliquerais scrupuleusement àrespecter toutes les interdictions de Bernard. Pourquoi?
Pas par peur de François bien sûr mais parce qu'elles étaient merveilleusement justes et qu'elles le sont encore maintenant lorsqu'on lit consciencieusement le texte.
Mais malheureusement, aujourd'hui, on est loin des années cinquante, soixante et soixante-dix où ce genre de dispute se réglait à coup de paires de gifles, de chahuts dans les salles et n'encombrait pas les tribunaux!
Parce que ce qui se passe là, entre François et toi, semble bien tirer le théâtre du coté de l'art marchand et de l'amour idiot des Américains à régler leurs litiges devant la justice.
Et en France, c'est la tout à fait respectable Comédie-Française qui, dix ans plus tard comme toujours, prend exemple sur les Etats-Unis d’Amérique.

Bruno Boëglin, metteur en scène.

Bernard-Marie Koltès et ...Yan Ciret


Dans un article à paraître en novembre prochain dans Le Monde Diplomatique, Yan Ciret questionne le théâtre d’aujoud’hui.

Partant du constat que cet art séculaire peine à « se penser », Yan Ciret dénonce l’incapacité du Théâtre à envisager sa nouvelle place dans une société « mondialisée ». Pour alimenter notre débat, citons quelques lignes de l’article :
« A chaque fois que l’identité nationale s’est reformulée, des dramaturges ont anticipé ce bouleversement, n’omettant jamais d’en montrer les revers, la violence latente. C’est dans cette perspective que Bernard-Marie Koltès formule un impératif absolu. Celui de voir ses pièces jouées, aussi et toujours, par des acteurs venus de la « diversité » ou des « minorités visibles ». »
Or, nous assistons, si nous n’y prenons garde à la disparition de l’Autre dans l’espace public. Ainsi, en 1961, Aziz était-il domestique, en 1988 il fut comédien ; en 2007 à la Comédie-Française, il n’est plus rien. Il est absent ! Yan Ciret se fait fort de nous rappeler que la Comédie-Française n’a pas daigné « lire » les disdascalies internes de la pièce. Rappelons-les : son nom d’Aziz, personnage reconnaissant implicitement qu’il est Algérien, domestique, non, mais sûrement « couillon » ; parlant l’arabe, s’abstenant de trop boire en période de ramadan ; prières musulmanes. Absentes elles aussi de la mise en scène…
Yan Ciret aurait même pu mettre au présent la phrase suivante ; « il montre [parlant de l’auteur] comment l’exclusion, la haine de soit et de l’Autre, ont été une composante de notre identité nationale. »
Dans cet article, l’essayiste, affirme l’idée d’un Koltès forgeant le trouble et le doute, comme on forge un outil de métal incandescent, à partir d’une identité réelle.
Car, poursuit-il, l’idée de l’altérité polarise celle de la Nation.

Enfin, après avoir songé aux racines africaines et maghrébines d’une partie de notre population française, Yan Ciret semble, fort pertinemment, poser la grande, la vraie question de cet invraisemblable imbroglio : « Pourquoi la Comédie-Française n’a-t-elle qu’un nombre infime d’acteurs de ces ascendances ? »
Question restée sans réponse ! Mais dont, aussi incroyable que cela puisse paraître, François Koltès devrait faire les frais ?

vendredi 5 octobre 2007

Bernard-Marie Koltès et...Arthur Nauzyciel


Black Battle With Dogs ! Version américaine de Combat de Nègre et de chiens, est représentée en avril 2001 à Atlanta ; en France, à Avignon, en juillet 2002. Arthur Nauzyciel est sans doute notre metteur en scène le plus international. Son travail enjambe les frontières. N’est-ce pas là le rôle, justement, de l’artiste ? C’est donc actuellement le plus français des metteurs en scène. L’extérieur, c’est ce qui nous rapproche de Bernard-Marie Koltès ! L’autre est son grand sujet ; l’altérité, son domaine d’élection. Puisque le corps de l’étranger est Noir, qu’il s’appelle Le Grand Parachutiste Noir, Alboury, camarade, le Dealer… puisque le domestique de la maison s’appelle Aziz, le patron de bistro Saïfi ou, signe particulier : le Rouquin ! Bernard-Marie Koltès ouvre la voie.
Arthur Nauzyciel parle de cette écriture-là de Koltès dans sa « physicalité ». Formé à la fugue façon Jean-Sébastien Bach, ouvert au reggae de Bob Marley (notamment avec Rat Race pour antienne, pour chanson fétiche), l’auteur écrit de la musique avec son théâtre ! ou l’inverse ! D’où, l’importance phénoménale de la ponctuation chez Koltès, l’éloquence d’un silence, la geste d’un timbre de voix. Voix de Bernard-Marie Koltès, inspiratrice d’un tout nouveau spectacle. C’est pourquoi, nul ne s’étonnera de l’intérêt du metteur en scène pour l’aspect chorégraphique de l’œuvre. Le geste naît du verbe, il s’appuie sur la musique… La quintessence du deuil, c’est l’impossibilité du deuil, comme dans Combat… justement ! Le deuil d’Alboury et les siens. Où est le corps de Nouofia (« conçu dans le désert », en ouolof). Où ? Où ? Même le corps, ils ne l’ont pas respecté ! D’où cette oraison funèbre, ce chant trinquetaillesque, cette ode nécro-politaine…Mais, enfin, la vie, elle, est toujours plus forte ! Arthur Nauzyciel sait nous faire voir ce que nous n’avions pas vu.
En 2004, en septembre 2004, Arthur Nauzyciel monte Roberto Zucco dans une traduction de Martin Crimp.
A Atlanta se joueront, prochainement, d’autres pièces de Bernard-Marie Koltès, sous la houlette ailée d’Arthur Nauzyciel, car la magie du théâtre sait faire de l’instant éphémère un moment d’éternité !

Retrouvez Arthur Nauzyciel sur :

http://www.tribune-orleans.fr/spip.php?article167

mercredi 3 octobre 2007

François Koltès désormais défendu par Maître Roland Rappaport...



Maître Roland Rappaport, plus en forme jamais, prend en main les destinées de « l’Affaire Koltès ». En quelques mots…
Maître Rappaport soutint la lutte des peuples pour leur liberté, contre la guerre d’Indochine, pour la paix et l’indépendance du Vietnam. Il combattit le colonialisme du temps de la guerre d’Algérie, toujours solidaire et « partie prenante de batailles pour le progrès social ». Il participe au Comité de Défense des Libertés autour d’Arthur London (auteur de l’Aveu). Il défend Mathieu Lindon et Paul Otchakovsky dans l’affaire dite « Le procès de Jean-Marie Le Pen », en 1999. Mais revenons au procès Koltès lui-même.
C’est l’auteur, au départ, à vrai dire, qui pâtit de « L’Affaire ». Actuellement, et très provisoirement, c’est Bernard-Marie Koltès qui, dans sa partie de bras de fer avec la Comédie-Française, se heurte à l’une de nos plus (trop) vieilles institutions culturelles. François Koltès, son ayant droit, en tant que personne, fait les frais de ce premier jugement. Et nul ne peut envier sa situation.
Tout est allé si vite, tellement vite, qu’on a oublié de signaler que Le retour au désert existe surtout à cause de cette guerre d’Algérie. La distribution n’a pas trouvé le courage indispensable de mettre en scène des Arabes. Contredisant ainsi la volonté manifeste de l’auteur, pour qui on ne joue pas plus une race qu’un sexe ! Mais il ne s’agit pas de racisme, il s’agit d’admettre l’autre avec sa différence. C’est donc tout le contraire. Et c’est sur cette culpabilité, sur cette absence que s’arc-boute l’accusation faite à l’ayant droit. Il s’agit de lui faire la place, de lui donner toute sa place de lui laisser la parole. Une fois. En quoi est-il différent ? Il parle autrement, il se tient autrement, un peu différemment veux-je dire, il apparaît, mais il parle vraiment arabe. Mon domestique est arabophone, Pourquoi ? Parce que dans la maison Serpenoise des années soixante il y a un interdit qui pèse sur la langue de l’autre. Totalement oublié ça ! Il se distingue de moi ou moi parmi les autres, j’apparais encore autrement. Le théâtre de Koltès ne s’avance pas dans le travestissement. Il le dénonce. A telle enseigne…L’auteur écrit que le personnage s’appelle Aziz, parle arabe, serait musulman, qu’il est de culture méditerranéenne… premier gros et vrai problème posé à la Comédie-Française : il n’y a pas un seul comédien maghrébin dans la troupe. Que faire ? Pas un petit (ni même un grand d’ailleurs) à l’horizon ? ou si, parmi les techniciens, mais il ne jouera pas. Moralité : tant pis, il faut faire jouer ceux qui sont là. Trouver dans la troupe, parmi les comédiens à demeure, un Aziz, un Aziz et un Saïfi. Bilan : rien ne bouge, rien ne change. La chance, qui voulait que Le Retour au désert fut l’occasion d’engager un nouvel artiste, un comédien issu de l’immigration, par exemple, tombe à l’eau. La vieille maison sombre dans l’archaïsme. Elle ne réussit pas à se mettre au goût du jour. Elle campe sur ses vieilles lunes.
Mais il y a plus grave, inévitablement, et qui touche le droit moral de l’auteur, c’est la mise en scène, qui donne le texte du retour au désert, vide de l’interprétation de sa substance. La métaphysique koltésienne, se trouve castrée d’emblée. Coincée dans un dilemme, qui pour être intéressant, n’en est pas moins hors-sujet. La distribution déplace la problématique de la pièce en faisant jouer un sociétaire. Plus grand est l’artiste, plus sincère est son jeu, plus l’interprétation s’éloigne de la quête de l’auteur, Bernard-Marie Koltès, qui demande la confrontation des corps sur la scène. Songeons à ces « Molière ». Raisonnons un instant par l’absurde. Il manque un Molière : celui du comédien incompris. Oui, pourquoi Michel Favory n’a-t-il pas obtenu ce prix ? N’aurait-ce pas été entièrement mérité ? Non, mais ce n’était pas possible, et pour deux raisons : d’une part c’eût été une provocation bien trop lisible, d’autre part c’eût été, par voie de conséquence, l’aveu du propre échec de la mise en scène. Dès lors la poursuite se braque, le projecteur s’attache à deux actrices : Martine Chevallier et Catherine Hiégel. Que se passe-t-il ? On détourne l’auteur pour mieux assommer l’ayant droit ! Mais le théâtre de Koltès est ailleurs.
La quête de Bernard-Marie Koltès est tout intérieure. Elle part de l’extérieur, de l’étranger, alors que la dynamique mise en scène, et en place, par la Comédie-Française, suit le mouvement inverse. (Il eut fallu, avant de mettre en scène, refaire la visite de la mosquée de Pierre Loti). Alors, elle, la Comédie, elle déclare : « Voilà ! nos comédiens vont vous jouer Le retour au désert ». Oui, certes, ils jouent la pièce mot pour mot, mais en réalité, ils la déjouent, la dénouent, en en désamorçant les ressorts dramaturgiques qui eux portent sur la rencontre des corps et le travail des voix.
Toutes les attaques portées contre François Koltès, dès lors, ne visent qu’à tenter de valider ce renversement. J’y vois ainsi l’émergence des expressions « terrorisme à l’envers », « racisme à l’envers ». Comme autant, en fait, de retournements éhontés de la rhétorique koltésienne. Pour quel dessein ? discréditer la remise en cause même de la distribution du Retour au désert. Or, cette revendication, cette contestation de l’ayant droit, elle, n’est rien autre que légitime. Comment déjouer le « complot » ? Nier la validité du contrat, aller rechercher la lettre de 2006 et tenter de faire avaler ces deux couleuvres gluantes et frémissantes : l’une « nous on ne pouvait pas engager un Arabe pour jouer le rôle d’un Arabe. D’ailleurs, on n’en connaît pas ! » L’autre c’est : « charbonnier est maître chez soi ! » Et Bernard-Marie Koltès dans tout ça ? Eh bien, il ne s’y retrouve pas !
Le théâtre de Koltès, les dizaines, les centaines de milliers de lycéens et d’universitaires qui, non seulement en France, mais dans le monde, étudient l’œuvre, savent bien comment et combien la figure de l’étranger, de l’autre, du Noir, du différent, y est déployée, magnifiée. Faudrait-il alors être grand clerc pour savoir lire dans l’œuvre la révolte de Bernard-Marie Koltès ? Elle s’exerce contres les fascistes, contre l’OAS. Il s’agit d’une colère. Elle alimente l’antique tragédie. Elle prend sa légitime vibration dans le corps des êtres qui, pour ce galop d’essai à la Comédie-Française, furent désespérément absents.

(Merci d’adresser vos commentaires aussi nombreux que possibles…)

prochain article, les metteurs en scène de Koltès : Arthur Nauzyciel, Jean-Christophe Saïs…